Oui, dans ma ville il y a le plus beau marché de France ET le record du monde de bouillabaisse.
Dans un article pour ELLE.fr, je m’étais penchée sur les origines de l’une des plus célèbres spécialités marseillaises. L’occasion de découvrir que la bouillabaisse détient sa propre charte, et aussi de me replonger dans mon histoire familiale.
En effet, si la recette est née à plus d’une trentaine de kilomètres de chez moi, ce n’est pas la Cité phocéenne qui détient le record mondial de la plus grande bouillabaisse jamais servie, mais ma ville natale : Sanary-sur-Mer. Mes grands-parents, ma mère et ma tante ont même aidé à la préparer et à la servir.
Mais comment une soupe de poisson a fait son entrée dans le livre des records ? Laissez-moi vous raconter…
Il était une fois…
Nous sommes en 1989, à Sanary-sur-Mer. La mairie, la prud’homie des pêcheurs et le comité de fêtes, conviennent d’organiser une grande bouillabaisse le jour de la Saint-Pierre. Une célébration traditionnelle qui se déroule tous les 24 juin, en l’honneur du saint patron des pêcheurs.
Avant d’être une station balnéaire avec le plus beau marché de France, Sanary-sur-Mer a longtemps été un petit village de pêcheurs*. C’est pourquoi cette fête a une grande importance chez nous.
Pour l’occasion, la ville du Lavandou, détentrice du titre de la plus grande bouillabaisse depuis 1987, accepte de prêter un immense chaudron pour la préparation. Ma grand-mère, femme de pêcheur, me raconte : « Il n’y avait qu’une seule condition : ne pas dépasser leur record. »
Promesse à moitié tenue, car si la première édition sanaryenne a réuni « seulement » 500 convives, celle de l’année suivante a été homologuée comme la plus grande du monde par le Livre Guinness des records. Cela a notamment été possible grâce à une une marmite de 3 m de diamètre (la taille de certains studios parisiens…) en inox commandée spécialement par la ville. « On a eu besoin d’une grue pour la placer sur le feu de bois », m’a-t-on précisé.
Et si vous êtes déjà impressionné·e par la taille de l’ustensile, attendez de lire les quantités.
Le record du monde de bouillabaisse en chiffres
Pour préparer la plus grande bouillabaisse du monde, vous aurez entre autres besoin de :
920 kg de poissons de 11 variétés différentes, dont 130 kg de lotte, 230 kg de congres et murènes, 320 kg de chapon…
15 l d’huile d’arachide, 15 l d’huile d’olive
700 g de safran (au prix du safran, je n’ose pas imaginer la facture)
2 magnums de pastis
300 kg de pommes de terre
Sans parler des kilos d’ail et d’oignons, ou encore des 120 œufs nécessaires à la rouille.
Ce dimanche 24 juin de 1990, dès 5 h du matin, les pêcheurs, leurs épouses et les bénévoles se sont affairé·es dans les cuisines de l’école élémentaire des Picotières (aujourd’hui l’école Jean-Michel Cousteau), et sur le parking de l’Esplanade, le lieu des festivités. Il se raconte que tout le port embaumait le fumet de la bouillabaisse.
À 12 h 30, 1274 convives se sont rassemblés sous le chapiteau érigé pour la dégustation. Maître Maurel, huissier de justice mandaté par le Livre Guinness, a personnellement attesté l’effectif des participant·e·s et le poids de 1,8 tonne de la bouillabaisse.
« Nous avons battu le record en nombre d’espèces de poissons, en quantité préparée ainsi qu’en portions servies », s'enorgueillit ma grand-mère.
Au-delà de l’exploit - rendu possible par le travail titanesque des bénévoles -, c’est aussi la qualité de la bouillabaisse et la convivialité de l’événement qui sont restées gravées dans les mémoires.
La presse locale rapporte : « [...] l’ambiance devint au fil des heures de plus en plus chaleureuses, des chants et danses folkloriques “La Coustiéro Flourido” égayèrent et assurèrent le bon déroulement de cette manifestation. Les pêcheurs auxquels revient le mérite de cette bouillabaisse, entonnèrent avec entrain le refrain de “La bouillabaisse” “avé l’accent”. »
De cette journée, ma famille a conservé des photos, articles de presse, et surtout, une immense fierté, transmise de génération en génération.
Suite et fin ?
Jusqu’en 2020, la célébration de la « grande bouillabaisse » se tenait tous les deux ans. La crise sanitaire a malheureusement mis un coup d’arrêt… définitif ? À l’heure actuelle, aucune communication n’a annoncé de nouvelle édition. Je parie (et milite) cependant pour son retour dans les années à venir.
Affaire à suivre...
*Je n’utilise pas l’écriture inclusive car les pêcheurs de cette histoire sont uniquement des hommes.
Comments